Jean-​Cristophe Castelain

  • Prési­dent d’Artclair Edi­tions et rédac­teur en chef du Jour­nal des Arts et de L’Œil, France

L’artiste mécène

Alain Godon est un artiste mécène sin­gulier. Un mécène dans le vrai sens du terme. Pas un mécène à la manière de ces artistes recon­nus qui lèguent une par­tie de leurs œuvres à la con­di­tion expresse qu’elles soient exposées dans une salle de musée, ou mieux dans tout un musée, et qui por­tent leur nom pour l’éternité. Pas un mécène à la manière de ces col­lec­tion­neurs for­tunés qui ouvrent une fon­da­tion éponyme pour y exposer leur col­lec­tion. Pas un mécène à la manière de ces grandes entre­prises du CAC 40 qui défis­calisent leur impôt sur les sociétés en don­nant de l’argent à une grande expo­si­tion ou pour l’acquisition d’un Tré­sor National. Non Alain Godon est un vrai mécène, généreux et désintéressé.

Depuis qua­tre ans, il finance avec son argent et son temps (ce qui est un peu la même chose), le Fes­ti­val du Tou­quet, un fes­ti­val d’art ouvert à tous. Celui-​ci se tient le pre­mier week end de juil­let dans cette sta­tion bal­néaire où les maisons cos­sues, ouvertes et entourées de pelouse ton­due de près révè­lent une bour­geoisie attachée à son ilot pro­tégé. Un havre de paix vio­lenté chaque année par des mil­liers de motards venus assis­ter à un enduro sur les superbes plages de la Manche. Mais c’est une horde bien plus paci­fique qui déferle au début de l’été dans le Palais des Con­grès ou le bâti­ment néo médié­val de la mairie. Une horde de pein­tres ama­teurs ou pro­fes­sion­nels, d’étudiants aux beaux-​arts, venus avec femme et enfants exposer leur tra­vail. Tout cela sans débourser un euro. Car Alain Godon s’accroche comme une ara­pède à son rocher à son con­cept de gra­tu­ité. Ni frais d’inscription ni frais d’exposition comme on le voit très sou­vent dans ce type de man­i­fes­ta­tion, his­toire de cou­vrir les couts d’organisation. Il tient à ce qu’aucune bar­rière, si ce n’est celle du tal­ent n’empêche un artiste de con­courir.
Alain Godon a des comptes à ren­dre avec l’argent. Il ne vient pas d’un milieu défa­vorisé, mais il en a man­qué pen­dant de longues années. Il se sou­vient de ce temps où il dessi­nait à la craie sur les trot­toirs de Brighton, pour gag­ner de quoi s’alimenter et s’abriter. Il sait ce que sont les pri­va­tions et les petites humil­i­a­tions de la vie. Et main­tenant qu’il est un pein­tre reconnu et coté, la seule revanche qu’il souhaite pren­dre sur ses années som­bres, c’est juste­ment de les éviter aux autres. Nou­veau riche, Alain Godon est à mille lieux de la car­i­ca­ture qu’on fait habituelle­ment des for­tunés. Il ne compte pas, ne mégote pas et paye plus sou­vent l’addition qu’à son tour. Mais en plus il le fait avec sim­plic­ité, sans osten­ta­tion ni désir nar­cis­sique. Le Prix donné au lau­réat du Fes­ti­val est un bon exem­ple : 10 000 euros, plus, selon les années un séjour en Mar­tinique, plus un trophée, plus une expo­si­tion dans une galerie, plus un accrochage au Musée du Tou­quet …. C’est beau­coup, peut-​être même trop pour un jeune artiste débu­tant. Mais Alain Godon y tient à ce Noël avant l’heure qui rat­trape incon­sciem­ment ses années à lui dif­fi­ciles.
Mais au fond, la plus belle récom­pense c’est de pou­voir mon­trer son tra­vail, un cadeau aux cen­taines de par­tic­i­pants Artiste lui-​même, il sait com­bien il est impor­tant de mon­trer ses œuvres, de se con­fron­ter au tra­vail de ses pairs, d’affronter le regard des vis­i­teurs et le juge­ment du jury. L’artiste est soli­taire, mais il y a un temps pour le tra­vail isolé en ate­lier et un temps red­outable et red­outé pour l’exposition en pleine lumière. L’un ne va pas sans l’autre. Il y a finale­ment peu de lieux ou d’occasions pour ces mil­liers d’artistes de présen­ter leur tra­vail. Com­bien sont-​ils au juste ? La Mai­son des Artistes recense près de 50 000 per­son­nes qui vivent plus (très peu) ou moins (l’immense majorité) de leur art. Mais ils sont dix fois plus à taquiner le pinceau, le crayon, ou le bou­ton de leur appareil photo. En atten­dant la con­sécra­tion, l’exposition en galerie, qui ne vien­dra jamais pour la très grande majorité d’entre eux, ils présen­tent leur tra­vail dans des expo­si­tions col­lec­tives qui mail­lent la France, dans des salons, encore bien sou­vent appelés salons de pein­ture, oubliant que depuis Mar­cel Duchamp tout peut être de l’art.
Le Fes­ti­val du Tou­quet n’est pas un Salon comme les autres. Il tire davan­tage du côté du fes­ti­val, de la fête pop­u­laire que du côté de l’exposition com­passée. A l’image d’Alain Godon. Le tout dans un mélange de pro­fes­sion­nal­isme et de naïveté sym­pa­thique dans l’organisation. On n’est pas dans une fête patronale de province. La plu­part des salons de pein­ture, aussi sym­pa­thiques soient-​ils, sont en général lim­ités à une cinquan­taine d’exposants, tout au plus une cen­taine. Change­ment d’échelle avec le Fes­ti­val du Tou­quet et ses 500 par­tic­i­pants. Loin d’être con­finée dans un lieu ingrat, l’exposition se déploie dans l’amusant bâti­ment néo médié­val de la mairie et au très chic Palais des con­grès. Alain Godon ne cache pas ses sym­pa­thies poli­tiques égal­i­taristes et les met en œuvre au Fes­ti­val. C’est « un artiste, un mètre », enten­dez par là que tout le monde est logé à la même enseigne et dis­pose de la même sur­face que les autres. Lors des deux pre­mières édi­tions, les tableaux étaient sim­ple­ment posés sur les chaises alignées les unes con­tre les autres, for­mant un long ser­pentin dans les salles. Pour la troisième édi­tion, des cimaises sont apparues, et on promet que pour la qua­trième édi­tion, les artistes n’auront plus à grif­fon­ner sur une feuille de papier le nom et la tech­nique de l’œuvre. Alain Godon est l’âme du Fes­ti­val, tel le GO d’un Club Med, en short et en Tee Shirt aux couleurs de l’événement, il court sans cesse d’un lieu à l’autre, parle aux artistes, calme les mécon­tents, encour­age les timides, fait des dis­cours, bro­carde gen­ti­ment le maire, soigne les VIP. C’est un flux con­stant d’énergie.
On chercherait en vain ses œuvres. Là où beau­coup de salons de pein­tures sont organ­isés par et surtout pour le même artiste, invité d’honneur de toutes les édi­tions, au Fes­ti­val du Tou­quet, la star c’est Alain Godon, et pas son tra­vail. Il n’en a pas besoin. Ses œuvres sont ven­dues avant même d’être com­mencées et d’ailleurs son car­net de com­mande est rem­pli pour des années. Chaque jour passé à l’organisation du Fes­ti­val, c’est un jour de moins pour son tra­vail, un jour de moins pour les tableaux qu’attendent ses col­lec­tion­neurs, ses par­ti­sans devrait-​on dire. Com­bien de Tou­quet­tois, et surtout de Tou­quet­toises car le gail­lard avec son allure à la d’Artagnan porte beau, font le siège du pein­tre pour que celui-​ci leur cède une œuvre. Je l’ai con­staté per­son­nelle­ment à plusieurs reprises, y com­pris lors d’un vernissage parisien où ses fans avaient fait le déplace­ment.
Oui bien sûr Alain Godon aime la scène et les micros, les peo­ple et les jour­nal­istes. Il a besoin d’être aimé pour ce qu’il est et reconnu pour son tra­vail car le suc­cès lui est arrivé d’un coup et il ne veut pas y croire. Son échelle est aujourd’hui le monde, mais entrer dans les annales munic­i­pales comme le Médi­cis du Tou­quet ne lui déplairait pas. Et si le Fes­ti­val devient l’équivalent en art visuel de ce que sont les Vieilles Char­rues pour la musique ou Angoulême pour la BD, ce serait ample­ment mérité.

Jean-​Christophe Castelain

Prési­dent d’Artclair Edi­tions et rédac­teur en chef du Jour­nal des Arts et de l’Oeil, France