Mon­sieur Garet

  • Ani­ma­teur social, admin­is­tra­teur de la Fédéra­tion Nationale des Cen­tres Soci­aux, France

D’une cul­ture à une autre

Quand Alain Godon arrive avec les siens à St Nico­las — St Lau­rent en 1979, le quartier est en fin de con­struc­tion. 2440 loge­ments sont ainsi réal­isés dont la moitié en habi­tat col­lec­tif. Regroupées au cœur de la cité, plusieurs tours de 15 à 17 étages et des «bar­res » de 6 niveaux con­cen­trent, à prox­im­ité d’un cen­tre com­mer­cial sur­di­men­sionné pour l’endroit, plusieurs cen­taines de familles.

Au pied des immeubles, avoisi­nant ce grand super­marché et sa galerie, le Cen­tre social Chante­clair ouvre ses portes en 1977. Respon­s­able de l’animation et du développe­ment du cen­tre, c’est là que je fais la con­nais­sance d’Alain Godon. Dans ce quartier à la pop­u­la­tion jeune, les enfants sont très nom­breux. Des ate­liers les accueil­lent le mer­credi et le samedi après midi. Alors ado­les­cent, Alain man­i­feste un grand intérêt pour ce que nous organ­isons. Son goût pour la pein­ture m’amène à lui pro­poser de se join­dre aux ani­ma­teurs. Il vient ainsi chaque semaine con­seiller spon­tané­ment les enfants sur la réal­i­sa­tion d’une poterie ou d’un dessin. C’est le résul­tat d’une ren­con­tre, d’une écoute et de la propo­si­tion à exercer une respon­s­abil­ité. Il a ainsi partagé sa sen­si­bil­ité avec les plus jeunes, aux cotés d’adultes d’une asso­ci­a­tion d’éveil artis­tique. Rapi­de­ment, des enfants arrivent au Cen­tre en deman­dant si Alain « est là », mon­trant le lien pré­cieux qu’il a su établir avec eux. Cette péri­ode est fon­da­trice de ce qui devien­dra ensuite une action phare du Cen­tre, les Ate­liers d’Enfants (jusqu’à 150 « gamins » par demi-​journée).
A cette péri­ode – 1979 /​1983 – les familles des Nou­velles Rési­dences sont de milieu ouvrier (usine de fil nylon, unités métal­lurgiques, etc…) ou de classe moyenne (salariés du ter­ti­aire, très développé à Arras). Le chô­mage est présent certes mais n’est pas encore struc­turel. De nom­breux groupes d’adolescents se retrou­vent aux pieds des immeubles, dans les halls d’entrée des tours, dans la galerie com­mer­ciale. Ils y organ­isent des temps de vies à eux, inven­tant de nou­veaux jeux, de nou­veaux rites de pas­sage d’un âge à un autre. Ils peu­vent déranger cer­tains mais on est loin des entrées van­dal­isées… La pré­car­ité et l’appauvrissement de la pop­u­la­tion vien­dront un peu plus tard.
Néan­moins, c’est un monde bien dif­férent de celui du cen­tre d’Achicourt – situé de l’autre coté de la ville d’Arras – qu’Alain con­nait à St Nico­las. Amis et copains sont issus d’autres milieux soci­aux. L’habitat, com­posé de grands immeubles de béton posés sur des espaces de pelouses joux­tant le macadam des park­ings et des routes, est por­teur d’une autre cul­ture que celle de la famille Godon. Les maisons de briques d’Achicourt recon­stru­ites après la pre­mière guerre mon­di­ale, les rues étroites qui con­duisent aux jardins des derniers maraîch­ers sont à St Nico­las rem­placées par des immeubles col­orés et des espaces ouverts aux qua­tre vents. Le calme et la dis­cré­tion qui sied à une famille « hon­or­able­ment con­nue » dans une petite com­mune n’ont plus d’impact dans ce nou­vel envi­ron­nement. Durant quelques années Alain altern­era les séjours dans l’une et l’autre de ces villes pas­sant ainsi d’un monde à un autre.
C’est cer­taine­ment à cette péri­ode qu’Alain Godon com­mence à dévelop­per le goût des scènes col­orées, le sens du métis­sage des ambiances ainsi que celui des détails qui don­nent vie à l’espace pub­lic. Ce pas­sage per­ma­nent d’une cul­ture à une autre, d’un envi­ron­nement social à un autre, loin de le désta­biliser l’a enrichi et lui a donné l’aisance de s’adresser avec un même respect, une même atten­tion à ceux qu’il ren­con­tre quelque soit leur rang, leur notoriété ou … leur pou­voir d’achat !
Lorsque j’ai retrouvé Alain à son ini­tia­tive pour une expo­si­tion au Tou­quet en 2007, nous avons échangé comme si l’on s’était quitté quelques semaines aupar­a­vant. Son regard sur ses années d’adolescence au Cen­tre Chante clair, a mis en relief l’importance de la con­fi­ance mutuelle, de l’encouragement à la prise de respon­s­abil­ité et à l’expression per­son­nelle à un moment ou l’adulte futur engrange ce qui con­tribue à son épanouisse­ment des années plus tard. En réveil­lant les moments vécus ensem­ble dans les années 80, c’est comme s’il avait retrouvé avec bon­heur les racines qui lui don­nent aujourd’hui assur­ance et sérénité.

Dominique Garet

Ani­ma­teur social, admin­is­tra­teur de la Fédéra­tion Nationale des Cen­tres Soci­aux, France