anglais français
Témoignage de Mr Deparpe
Conservateur adjoint du musée Matisse

Témoignage de Mr Deparpe

Photo de gauche: Patrice Deparpe et Alain Godon dans les réserves du musée

 

Godon, peintre familier

 

Alain Godon donne curieusement l’impression, lorsqu’on le découvre, d’être un personnage qui fait partie de votre existence depuis longtemps. Une espèce de cousin perdu de vue, un familier qui reviendrait d’un long voyage et qui nous enchanterait de ses récits extraordinaires. Une sorte d’émanation de sa peinture, un personnage échappé de sa toile, de ses œuvres qui savent si bien raconter les petites histoires de notre quotidien.

 

Cette familiarité, cette proximité que l’on partage avec Godon lui permet de se lancer dans l’exploration de notre quotidien. Il s’en saisit, le met en scène, l’expose ensuite dans ses tableaux qu’il dresse pareil à des miroirs. Sachant très bien que les petits moments de bonheur sont fugaces, il s’en empare pour essayer de les conserver, de les fixer pour l’éternité au sein de ses toiles. Tel le gentlemen-cambrioleur qui en consolation envoyait des fleurs à sa victime, il nous offre ensuite la possibilité de nous les remémorer lorsque nous contemplons ses œuvres. Celles-ci, en creux,  nous livrent les clefs pour mieux connaître l’artiste, dépassant les apparences affichées d’un dandy dilettante, nous faisant au contraire découvrir un travailleur exigeant et méticuleux.

 

On pourra  toujours s’interroger sur ce portrait car, d’Alain Godon, on ne connait généralement qu’une facette. Ses amis proches peuvent éventuellement, avec le temps, en avoir découvert un peu plus, mais il est impossible de totalement cerner cette personnalité protéiforme qui sait si bien se protéger en cloisonnant les différents univers qu’il fréquente.

 

De lui on connait généralement l’artiste jovial, extraverti, avenant. C’est sous ce premier aspect, qu’en tant que directeur du musée du Touquet, je l’avais alors rencontré. Jusque-là rien d’extraordinaire dans une station balnéaire huppée où le paraître joue un si grand rôle. Mais en regardant sa peinture je me suis vite rendu compte que nous n’étions pas en face d’une chimère mais d’un vrai peintre. J’ai alors découvert son univers, son petit appartement sur lequel  régnait un autoportrait en faune, où Nanou et ses chiens cohabitaient avec des toiles porteuses de bien des espoirs. L’originalité d’une narration qui se jouait des codes de la composition, la vivacité des couleurs, l’inventivité de son langage pictural laissaient augurer du meilleur. Nous avons assez rapidement convenu d’une exposition au  musée. L’an 2000 approchant, il saisit l’occasion de convoquer les héros de l’humanité et les idoles de son enfance pour célébrer l’évènement. Hélas, Godon le libertaire s’était fait pas mal d’ennemis en mettant son crayon acéré au service du journal local qui se régalait en publiant des caricatures cruelles et justes. Tout fut mis en œuvre pour saper l’exposition, mais, tels des mousquetaires, en  unissant nos forces  nous remportâmes cet épique combat ! De ce curieux mariage entre d’Artagnan et don Quichotte naquit une belle amitié. Fort de cette victoire, je l’embarquais dans une autre aventure : présenter son exposition dans un tout autre lieu et se mesurer au public d’une petite ville ouvrière à proximité de Lens. Il s’y prêta de bonne grâce et, sachant, pour l’avoir vécu, combien la vie peut être dure et ingrate, il ne mégotta pas son investissement personnel auprès d’enfants avides de rencontrer un artiste fan de Goldorak.

 

Par la suite, j’ai pu suivre l’évolution de son style, ses doutes, ses essais, ses tâtonnements,  jusqu’au jour où il a trouvé. Réunis avec quelques amis proches, il annonça son absolue certitude qu’il tenait quelque chose et…il fonça ! Cette indéfectible volonté de suivre cette chose, de la maîtriser, la développer signait l’avènement d’un vrai peintre. Son travail a été acharné, il n’a rien laissé au hasard, lui le casanier s’est transformé en globe-trotter pour aller chercher de quoi nourrir son imaginaire. L’accompagnant à New-York, où il voulait repérer des lieux à peindre, j’ai pu constater combien le gigantisme, la frénésie de cette ville, son cosmopolitisme, sa richesse culturelle, (le souvenir des visites au MOMA et au MET) et culinaire l’inspiraient. Il s’était lancé à corps perdu dans une bataille dont il savait que l’issue se jouerait quelques mois plus tard lorsqu’il présenterait, dans une prestigieuse galerie jouxtant Central Park, le fruit de son travail. Une bonne partie de son avenir artistique se jouait là, il lui fallait absolument remporter ce défi américain. Gérant la pression, il s’est transcendé et a remporté la mise, inventant au passage le BildoReliefo, une innovante technique de reproduction et d’interprétation photographique de ses toiles, les mettant ainsi à la portée de tous. Ses admirateurs se les arrachent, l’artiste est en effet doublé d’un redoutable bisness-man.  Mais ses succès lui servent avant tout à garantir et préserver sa liberté, il considère l’argent comme un moyen et non une fin. D’ailleurs sa (légendaire) générosité est parfois extrême, en tout cas  les jeunes artistes qui bénéficient chaque année de son mécénat lui en sont reconnaissants. C’est là aussi une caractéristique de Godon : sa persévérance. L’idée d’un festival totalement gratuit pour aider les jeunes artistes remonte à plus de dix ans, nous y avions alors longuement réfléchi. Que d’obstacles il lui a fallu surmonter pour mettre en place cette manifestation qu’il finance presque totalement ! Encore un singulier mariage entre l’écureuil (de Central-Park) et  l’Abbé Pierre…

 

Je pourrai certainement souligner d’autres paradoxes, rechercher de nouvelles facettes, supputer d’inédites qualités, mais à quoi bon ? Chacun des auteurs ici rassemblés vous livrera « son » Godon, et si nos écrits vous font découvrir et comprendre l’artiste alors tant mieux. Mais il me semble qu’il vaudrait mieux que vous commenciez par regarder ses œuvres, elles sont ses confidentes, ses ambassadrices, elles vous en apprendront certainement beaucoup.

 

Matisse disait, en substance, qu’un bon peintre devrait se couper la langue, ne pas parler de sa peinture, se contenter de la faire. Il n’a rien dit en revanche sur les amis qui laissent parler leur cœur…Godon appréciera lui qui pense que l’on ne dit pas assez souvent à ses proches qu’on les aime.

 

 

Patrice Deparpe

Conservateur Adjoint du musée Matisse