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Témoignage de Mr Périer
Docteur en Histoire de l’Art

Témoignage de Mr Périer

Photo de gauche : Alain Godon à un an

 

LE « PAYS ALAIN GODON »

 

Les métamorphoses de la figuration ont accompagné les différents jalons de l’histoire de l’art.  Chaque artiste œuvre pour se désengager des apparences et en extraire sa vérité.  La peinture d’Alain Godon, en s’inscrivant avec singularité dans un courant figuratif, ne saurait être séparée des contextes historiques et esthétiques qui ont cimenté ses appuis.

 

Après la dernière guerre mondiale et son cortège de misères, les artistes fuient la réalité et s’éloignent de la figuration.  Les Kandinsky, Mondrian, Robert Delaunay et Klee, les grands de l’abstraction sont déjà morts, mais l’art abstrait, lui, est bien vivant et triomphe à Paris.  Les grands marchands de la capitale française sont persuadés de tenir là leur deuxième Ecole de Paris, celle qui devrait leur permettre de régner encore longtemps sur la scène artistique internationale.  C’était sans compter sur l’émergence du Pop Art qui explose en juin 1962 chez Sidney Janis à New York, dans une première exposition intitulée « The New Realists », co-organisée et préfacée par Pierre Restany, un jeune critique d’art français qui a fondé à Paris, le 27 octobre 1960, le Nouveau Réalisme.  L’exposition américaine regroupait toutes les futures stars du Pop américain et les Nouveaux Réalistes français !  Cela reste cependant un épisode peu connu et peu éventé de l’histoire de l’art. On connaît la suite…  Après le grave incident de la Baie des Cochons à Cuba, où l’on frôle une guerre nucléaire, et qui est suivi du coup d’éclat de John Kennedy, la puissante et conquérante Amérique allait dominer le monde.  Depuis les années soixante, grâce à la culture et au soft power, les Etats Unis vont s’octroyer, notamment avec le Pop Art, le leadership de l’art.

 

Nonobstant ce constat, il faut le dire, le courant figuratif a toujours été actif.  Ces dernières décennies, la crise de l’image peinte n’a pas empêché la peinture longtemps bannie des diktats internationaux de réaffirmer ses droits.  On peut citer, entre autres, Balthus, Dubuffet, Hélion, Bacon et les surréalistes Ernst, Lam, Mattà, Delvaux.  En 1964, Gérald Gassiot Talabot organise les « Mythologies quotidiennes » au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, avec pas moins de trente-cinq artistes qui donnent à voir un renouveau de l’image.  Une postérité surréalisante se mettra aussi en place avec notamment les Sandorfi, Fassianos, Fred Deux, Enrico Baj, Dado.  Puis au début des années quatre-vingt, une nouvelle forme de figuration voit le jour dans plusieurs pays.  En France, c’est la Figuration libre qui est représentée par Hervé Di Rosa, Robert Combas, François Boisrond et Rémi Blanchard.  Aux Etats Unis, toujours dans le même temps, ce sont les Basquiat, Keith Haring, en Italie la Trans-Avant-Garde, en Allemagne la Bad painting.  On peut établir le constat d’un retour en force de la figure en pleine froideur conceptuelle.  La figuration reste un pivot de la création dans le monde quelles que soient les époques. Elle les traverse, sans cesse renouvelée, en parallèle de cette « autre face de l’art » qui va occuper, cependant, le devant de la scène…

 

Miroir sans bords offert à celui qui le regarde, le tableau propose un espace à ce dernier. Il est aussi pour l’artiste son usine à songe et le support de ses fantasmes.  L’artiste qui nous intéresse aujourd’hui n’échappe pas à cette réalité.  Comme ses grands aînés, le peintre ne reproduit pas simplement un espace existant mais en construit un nouveau.  Et c’est ainsi, quand l’opération est réussie, et elle l’est chez Alain Godon, que la peinture arrache celui qui la contemple à son environnement quotidien en le mettant en porte-à-faux par rapport au monde qu’il vit et qu’il perçoit.

 

Alain Godon est né à Bourges le 1er novembre 1964, dans une famille où tout le monde dessine, à commencer par le grand père architecte.  En 1975, son père, médecin de profession, décède, laissant son épouse dans un grand désarroi moral et économique.  Devant cette situation dramatique, la jeune femme reprend ses études d’infirmière et se met aussi à travailler dur en faisant les trois-huit pour élever ses enfants. Absorbée par ses tâches, le temps va lui manquer cruellement et le petit Alain va alors se trouver ballotté entre sa mère et le frère de son père qui le recueille.  Mais le sort s’acharne sur la jeune veuve qui se voit contrainte de vendre la maison familiale.  En 1979, la famille passe alors brutalement de la vie dans une maison bourgeoise à un modeste appartement de la Cité Saint Nicolas.  Ce changement d’environnement va signer le destin de l’adolescent  qui se met à fréquenter assidûment la rue mais aussi le Centre Social Chanteclair de la Cité où il dessine et fait de la poterie.  Dominique Garet, le directeur du lieu, mesure très vite le potentiel du jeune Alain et lui demande de donner des cours de dessin aux autres enfants.  En 1982, sa mère quitte la Cité.  L’artiste en herbe part vivre à Achicourt chez son oncle, un architecte de profession qui dessine aussi. Le jeune Alain Godon a hérité de ce don, source depuis toujours de tout mode d’expression artistique.  On le voit, elle ne naît pas du hasard l’œuvre d’art.

 

L’adolescent rebelle va grâce à cette praxis du dessin entretenir très tôt un dialogue avec le réel et commencer à forger, sans le savoir, son avenir d’artiste.  Alain Godon dessine à l’encre de Chine et restera chez son oncle jusqu’à l’armée.

 

En 1985 l’opérateur visuel qu’il est déjà, a une vie quotidienne qui s’ordonne désormais sur le bitume, à Paris, face au Louvre.  Ce bout de quartier exsude l’opium indispensable à l’artiste qu’il est en train de devenir.  Son univers comme celui de Basquiat à New York, c’est la rue, les squats et le tag.  Le personnage de Mary Poppins qui fait des dessins à la craie par terre l’inspire.  Il se livre avec avidité et dans un style plus naïf, à la copie des Joconde ou autres grands classiques, ce qui lui amène quelques subsides.  Il est, très tôt, remarqué par Christian Boeringer, Directeur du merchandising au Louvre qui est intrigué par ce jeune homme qu’il voit tous les jours en sortant du plus célèbre et plus fréquenté musée du monde.  La nuit, il est barman et exerce des petits boulots pour survivre.  On le retrouve saisonnier en 1988, à Saint-Tropez où il réalise sa première peinture à l’huile, puis à Courchevel. Comme Jean Fautrier à une autre époque, Il deviendra, en 1992, au Touquet Paris-Plage, la station balnéaire chic de la cote d’Opale dans le Nord, gérant d’un night club.  Un lieu qu’il avait auparavant entièrement décoré.

 

Car comme toujours, chez Alain Godon, tout est induit par l’art.  Commence alors au Touquet, une vie de noctambule qui se caractérise par une énorme amplitude de ses états d’âme, avec des crises qui se terminent parfois dangereusement pour sa santé et pour son couple.  Mais l’homme a du caractère et décide de réagir.  Il reprend son destin en main en se mettant sérieusement à la peinture, encouragé et aidé en cela par sa femme.  Cet appui sans faille le rend heureux et lui procure une grande force.  Exit l’alcool et la vie dissolue…

 

Une fébrile extroversion, physiquement un mélange de bad boy et de d’Artagnan, furieusement doté d’une intelligence plastique, Alain Godon est un personnage haut en couleur qui ne laisse personne indifférent.  Sa rencontre avec Régis Dorval, un grand galeriste du nord de la France, va le faire entrer dans les collections de cette région.  Patrice Deparpe,  Directeur du Musée du Touquet avec qui il s’est lié d’amitié, lui permet de visiter seul l’exposition de Dubuffet organisée à l’occasion de l’anniversaire des vingt ans de sa mort.  Un choc esthétique qui est toujours aussi prégnant dans sa mémoire et un Musée de France où le jeune artiste exposera lors du passage au nouveau millénaire.

 

L’artiste est un homme généreux qui estime que sa route est pavée de chance et qu’il se doit de rendre cela.  Ce qu’il fait, depuis 2009, dans cette station du Touquet où il est devenu l’enfant prodigue, en organisant le « Festival du Touquet » qui compte chaque année plus d’un millier d’inscrits et qui offre, entre autres, aux jeunes artistes la possibilité d’exposer.  Une initiative rare d’un artiste transformé en mécène et qui est soutenue par Jean-Christophe Castelain, Président d’Artclair Editions et rédacteur en chef du Journal des Arts et du Magazine L’Œil.  La bonté du cœur, un aspect de sa personnalité qui méritait d’être souligné.

 

Le mécanisme promotionnel va se mettre en place autour de lui et se révéler d’une redoutable efficacité. Bien qu’Alain Godon soit un travailleur acharné, la demande va être rapidement plus importante que l’offre et le prix de ses œuvres grimpe rapidement.  Une situation à laquelle des galeristes comme Bernard Markowicz, son agent pour les Etats Unis, ou Pascal Lansberg, qui l'enverra en atelier d'artiste à Bali, contribuent.

 

 La peinture

 

Observateur fervent des rues des mégapoles, son œil filtre et truque certains détails pour en distiller sur la toile comme des repères topographiques sur des territoires qu’il ré-enchante.  Le moindre détail sélectionné ou capté prend un aspect presque surnaturel grâce à une technique efficace qu’il s’est élaboré.  L’image est plus complexe qu’il n’y paraît. Cet exil du réel est rendu sur l’espace de la toile par une extraordinaire ductilité à traduire une atmosphère du monde qu’il a créé.  Comme le dit la chanson, avec Alain Godon, le peintre tient le monde au bout de son pinceau.  Il nous restitue la nature urbaine comme dans une sorte de rêve éveillé.

 

L’artiste écrit sans trêve, boulimique, démystifiant ce qu’il a entrepris de nous conter avec une mélodie qui lui appartient en propre.

 

Alain Godon est aussi un merveilleux coloriste qui a décidé dans ses tableaux, d’arrêter sa montre à l’heure du présent qu’il a construit.  Cette recherche plus poussée où alternent librement des détails bien observés et des agencements colorés suggèrent un univers qui se rapproche du monde de l’enfance.  Le réel est transformé en rêve.  Par une sûre orchestration  des plans colorés aux douces modulations, tout se développe avec harmonie dans un ensemble cohérent et rythmé où les détails deviennent signes si l’on pousse plus loin l’analyse.  Des signes qui toutefois se chargent d’une belle et étonnante résonance plastique.

 

L’écrivain Louis-Ferdinand Céline disait : « C’est un des lieux les plus méditatifs de notre époque, c’est notre sanctuaire moderne, la rue ».  Alain Godon a intuitivement très bien perçu cette réalité.  Un univers ludique et féerique naît de ces rues, immeubles, personnages, animaux, objets et signes  réunis dans l’espace de la toile.  Ils s’animent et se meuvent en cadence comme un dessin animé ante litteram. Les volutes décoratives qui peuplent les œuvres de l’artiste, pas un seul bâtiment n’est droit, sont-elles pensées en amont de la toile ou la ligne sinueuse est-elle « une revendication de l’instinct » ?  En ce qui concerne Alain Godon, la dernière assertion paraît la plus juste lorsqu’on connaît le personnage.  Un graphisme agile et des aplats légèrement modulés, contribuent à donner à voir dans chaque tableau un ensemble finalement très soigneusement ordonné.

 

Des flammes courantes ou assimilées, des lignes serpentines, un ballet admirablement bien réglé participent à une véritable incantation visuelle.  Les arbres, les rues, les immeubles, les oiseaux, les voitures, les lampadaires sont diminués ou agrandis par le songe de l’artiste. Le ciel des « Last Sleigh rouge rubis, Ça Glisse à Paris carmin, Yellow Shoes rose, At the Foot of the Christmas Tree cobalt ou encore Extravaganza outremer» n’est pas s’en rappeler les Ciels Etoilés de Van Gogh.  Le pouvoir accordé à l’imagination, le retour du merveilleux prôné par les Surréalistes a fait école chez le jeune artiste.  Impossible de ne pas évoquer aussi l’influence de la bande dessinée dont se sont nourris avant lui les artistes de la Figuration Libre.  Nous le savons, il n’est pas aisé de définir réellement la bande dessinée, située au carrefour de plusieurs moyens d'expression artistique: l'art graphique, l'art cinématographique et la littérature.  Dessin, cinéma, écriture, se conjuguent entre eux pour former un véritable art nouveau.

 

Il y a chez Alain Godon à la fois de la passion et une grande modestie lorsqu’il parle des choses sérieuses, de sa production artistique.  Dans ce jeu de la promenade urbaine, au milieu de ses immeubles qu’il soumet systématiquement à une torsion convulsive et dont il a fait la base de son matériau sémantique, il poétise tout et nous livre sa vision du piéton virtuel des villes qu’il est devenu.  La fête des rues d’Alain Godon apparaît comme un transfert de la vérité objective dans le monde de l’enfance et du jeu.  L’intervention de l’artiste se traduit dans une forme qui est aujourd’hui sa marque de fabrique. Le paysage des peintres n’existe qu’en eux.  Qu’elles fussent alanguies sous le soleil des Marquises ou blotties dans le vent de Bretagne, Gauguin rosissait le sable de toutes les plages, couleur universelle de ses rêves...

 

 

L’aventure du BildoReliefo

 

Son énergie et le goût du labeur obstiné qui le caractérise devaient l’amener à mener à bien et à développer la conquête d’autres domaines.  Sans avoir éliminés, nous le voyons, les éléments constitutifs de la matière-peinture, l’artiste français est avant tout un homme qui vit pleinement son époque et qui à tout de suite compris les fabuleuses ressources que la révolution technologique des nouveaux outils de la communication globale pouvaient lui apporter.

 

Il est très tôt impressionné par les photos de Cindy Sherman et David Lachapelle.  Les nouvelles techniques informatiques lui font entrevoir de nouveaux champs du possible.  L’aspect carrosserie de voiture, cette brillance métallique l’intrigue et le séduit. Les nouveaux médiums proposés par internet et l’ordinateur ne devaient pas laisser ce prédateur d’images indifférent.  Il se met au travail et c’est la naissance des BildoReliefo qui signifie image en trois dimensions dans le langage esperanto.  Une trouvaille de son ami Hubert Konrad, personnage jamais à court d’idées, qui fut rappelons-le, co-fondateur d’Art Price.

 

L’opération commence avec une grande  photo effectuée par l’atelier Picto à partir d’une huile sur toile.  L’artiste va alors travailler sur cette matière première avec en tête le souvenir de ces petites jumelles dans lesquelles il plongeait un regard émerveillé d’enfant, en faisant tourner un disque où s’imprimaient les images du paquebot France ou encore le voyage de Caroline en relief.  C’est justement ce relief qu’il veut nous montrer en extrayant tout d’abord le fond dont il change pour chaque pièce la couleur à la manière d’un Andy Warhol.  Les print-painting  de l’artiste, par un savant processus d’amalgame et de reprise sur lesquels il fixe son imagination, vont devenir au fil du temps un pan entier de sa création.  Son énergie vitale démesurée n’aura de cesse de s’y déployer.  Systématique, il enlève pièce par pièce les éléments constitutifs de son modèle et fait surgir une nouvelle image, en s’évertuant à créer des ombres et par là même des reliefs qui le font pénétrer dans un monde inconnu où il expérimente aussi les bonheurs du hasard.

 

On peut penser, bien sûr, que les Bildos sont les albums de ses rêves.  Des rêves qui sont étroitement liés à sa conscience éperdue de la nature moderne dans l’immanence du temps.  Les nouvelles technologies offrent à l’artiste, qui sait les appréhender, une puissance jusqu’alors jamais inégalée dans l’histoire sur la matière.  Une chance et une opportunité qu’Alain Godon n’a pas laissé passer, en apportant à sa sensibilité une dimension nouvelle.  Emmanuel de Chaunac, sénior vice président de Christie’s encourage l’artiste. Souvent présent à ses vernissages, il est devenu un ami et un conseiller précieux dans cette jungle de l’art.  Une personnalité qui compte aujourd’hui pour lui et qui fait partie de son paysage mental.  Alain Godon, artiste du XXIème siècle ne pouvait pas rater un des principaux jalons de la créativité contemporaine qui utilise les immenses possibilités de la révolution informatique.  Il se situe aussi dans la lignée du Mec art, dont les artistes avaient systématisés le report photographique, un procédé qu’Andy Warhol transfère sur le plan artistique en créant l’image ready-made.  L’hyperréalisme, lui, utilisera les effets photomécaniques d’analyse et d’agrandissement des détails.  Avec ses Bildos Alain Godon se situe, là aussi, dans le droit fil des grands aînés.

 

BildoReliefo, c’est la transformation d’une peinture unique en une œuvre digitale unique, grâce à la multiplicité des interventions que lui a fait subir l’artiste.  Présentés pour la première fois par Hubert Konrad aux Tuileries à Paris lors du Pavillon des Arts et du Design, les Bildos connaissent un succès foudroyant auprès du public et des collectionneurs.  Ils témoignent du spectaculaire impact visuel que produit cette phase expérimentale nouvelle qu’Alain Godon vient d’initier sur la voie royale de sa démarche esthétique.

 

Fils de la bande dessinée, certes, mais aussi du Pop, moins dans la forme qu’il adopte que dans le sens où l’artiste ne porte jamais, dans ses peintures, de jugement sur le monde qui l’entoure, une des constantes du mouvement américain.  Une  différence notable avec les artistes français de la Figuration narrative qui introduisent des images satiriques ou politiques, très facilement lisibles.  Aussi bien dans ses peintures que dans les Bildos, Alain Godon reste fidèle à un univers très personnel, à ses tons acidulés et fait preuve d’une grande maîtrise dans la couleur.

 

Mais attention, l’artiste n’est pas là pour nous conter fleurette, comme certains pourraient penser en voyant la bonne humeur, la joie même, la séduction naturelle qui se dégagent de ses toiles.  Il faut y prendre garde, Godon n’essaye pas de dorer la pilule.  Certes l’homme est drôle et railleur, et on peut le dire, l’emphase que l’on trouve souvent chez certains artistes, n’est pas son fort.

 

Très lucide, il peut aussi se montrer direct et caustique, ce qui lui vaudra un temps, certaines inimitiés dans son « village » et qui aide à mieux saisir ses interventions dans le champ de la sculpture.

 

La sculpture

 

C’est dans la sculpture que surgit cette vérité où l’artiste ne nous chante pas les charmes d’un monde idéalisé et pur.  C’est aussi dans ce domaine qu’il remet en cause les fondements conceptuels de son travail pictural.  Exit les séductions et les résultats trop prévisibles. La forme est classique, certes, mais certains éléments en détournent vite le véritable sens.  Du kitsch clameront certains mais Alain Godon aime bousculer les conventions.

 

On signale souvent les différentes périodes chez un artiste, en essayant d’en extraire les plus abouties ou les plus spectaculaires.  C’est dans une posture absolument différente que l’artiste aborde la problématique de la sculpture.  Elle n’est pas ici uniquement imitation des apparences ou recherche d’une qualité mimétique mais utilisation du pouvoir d’incarner une idée.  En se jetant à corps perdu  dans cette pratique, Alain Godon est à la recherche d’un art qui a un pouvoir signifiant.

 

La composante narrative introduite dans la sculpture d’Alain Godon en fait littéralement exploser son sens premier.  Nous ne sommes plus dans une figure traitée sur le mode représentatif uniquement mais dans un récit.  J’ai pu en  mesurer toute la force dans une de ses premières sculptures en bronze que j’ai vu dans un appartement de l’avenue Friedland à Paris, toute la perturbation introduite par la mitraillette que brandissait le doux personnage de Bambi, ce faon de fiction du célèbre dessin animé. Vous pouvez d’ailleurs en voir un autre exemple, avec un petit ours bien connu, à l’intérieur du livre.  Une révélation.  Il y avait donc deux Alain Godon. Celui des peintures et des Bildos, et celui de la sculpture.

 

C’est Malraux qui nous parle de ce dialogue muet entre les œuvres, pour lui le mouvement particulier de l’art.  Alain Godon est à la fois son propre maître et son propre témoin. Il entretient son dialogue avant tout avec lui-même.  De ses toiles, il passe aux nouvelles technologies, avec cette unité dans le style que nous avons noté et entre de plein pied dans le vertige d’une sculpture qui nous révèle finalement sa nature profonde.  La réussite est indéniable et la surprise totale.  En un mot, l’art devient ici langage.  En introduisant une perturbation et en détournant le sens premier de sa sculpture, il induit un changement radical et s’embarque dans une autre aventure en pleine conscience.  C’est l’interférence entre le corps du personnage sculpté et cet élément inattendu qui va caractériser les œuvres d’Alain Godon.  C’est sa stratégie pour briser le sens conventionnel du récit auquel on était en droit de s’attendre après avoir vu ses peintures, et alors le sens apparaît en même temps que l’objet.  Dans ses sculptures, l’accent est tout d’abord mis sur la surface, comme dans l’Art nouveau ou le design, c’est-à-dire un art qui se soucie moins de la structure interne de l’objet.

 

Avec sa sculpture, Alain Godon se positionne plus dans le rôle d’un dialecticien perturbateur que dans celui d’un créateur d’objets invitant à la contemplation et fait une brillante démonstration de la plénitude de ses dons.  On le voit, l’analyse et le survol de l’ensemble de son travail met en exergue la formidable organicité logique de son œuvre.  Alain Godon entre ainsi avec une grande aisance, par la force de son image, dans l'univers visuel des spectateurs et dans leur présent permanent.  L’artiste a tous les pouvoirs et cela Alain Godon le sait.  Il n’a pas fini d’en user et de nous étonner, pour la plus grande joie des vrais amateurs d’art. 

 

 

Henry Périer

Docteur en Histoire de l'Art

Henry Périer est Docteur en Histoire de l’art.  Auteur de nombreux articles et de catalogues sur l’art, la parution de sa biographie sur Pierre Restany, un des personnages les plus influents de l’art au niveau international de la deuxième moitié du XXème siècle, le positionne comme l’un des spécialistes du Nouveau Réalisme, le pendant européen du Pop art. Commissaire d’exposition indépendant, il a organisé de nombreux événements, le dernier, en 2009, étant la plus grande exposition Bernard Buffet jamais réalisée en France depuis quarante ans.  C’est aussi un des spécialistes français de l’art contemporain Chinois. Commissaire de l’Année de la Chine en France en 2004 avec l’exposition « Chine, le corps partout ? » au Musée d’Art Contemporain de Marseille, auteur en 2008 du texte de China Gold, chez Gallimard.  Une exposition dont il a été le consultant au musée Maillol à Paris.  Il sera aussi le curator du Panda Fashion Show de Zhao Bandi au Palais de Tokyo à Paris, en mars 2009.