Godon hors les murs
- Date: Mars 2018
- Media: Les Echos
Godon hors les murs
A
uand un Touquettois est accueilli par un ex Touquettois, ensemble ils nous emmènent au bout du monde… Ils avaient déjà travaillé ensemble il y a 18 ans. A l’époque Alain Godon faisait déjà du Godon et Patrice Deparpe dirigeait les murs d’un musée plus étriqué que celui du Cateau-Cambrésis. Chacun a continué son parcours dans l’amour de l’art. Grandi. Et évolué.
Patrice Deparpe a en effet quitté le musée du Touquet pour le musée Matisse en 2010 et en prendre la direction trois ans plus tard.
Godon n’a, depuis, jamais retravaillé sur les “Figures du siècle”…
New York, son vertige permanent,est passé par là et l’a inspiré pour longtemps. L’architecture, celle-là même par qui le goût du dessin est arrivé, allait alors lui permettre de devenir “bankable”.
Aujourd’hui, Godon est l’artiste contemporain français qui vend le plus et le plus cher. N’empêcheque pour son copain Patrice Deparpe c’est pas suffisant !
Pour celui qui traverse les continents dans le but de faire éclater la beauté de l’oeuvre de Matisse à la face du monde, Godon en a encore bien plus sous le pied. Il en est persuadé. Pour le pousser dans ses retranchements Patrice Deparpe lui propose, en 2015, d’accoler son nom à celui de Matisse dans le cadre d’une grande exposition. Ses héritiers sont d’accord. A l’instar d’Henri Matisse, Godon aime la couleur et le voyage. Comme lui il a croqué la “grosse pomme”. Comme lui il ira bientôt à Tahiti. La thématique est toute trouvée.
“Avant l’expo on m’accusait de faire plaisir à un copain, ma plus belle réponse c’est celle de la famille Matisse qui a adoré le travail d’Alain !”
Patrice Deparpe, directeur du musée Matisse
UN P’TIT COIN DE PARAPLUIE CONTRE UN COIN DE PARADIS…
Pendant plusieurs mois Alain Godon, qui avait choisi l’Angleterre pour patrie depuis 10 ans, quitte donc la grisailleambiante pour toucher du doigt la lumière. Bleue, orange, verte, jaune, violette, rose. Qu’importe, elle est partout, éclatante à toutes les heures du jour et de la nuit. Et puis il y a la flore mais surtout la faune. Ces poissons-volants et autres tortues géantes, il va étudier au quotidien. Sur place pourtant, Godon ne produira rien d’autres que quelques croquis et prendra des photos. Car comme Matisse, encore, Godon doit digérer ce voyage pour savoir quel sens il veut lui donner. C’est qu’à Tahiti il n’y a ni bâtiment ni immeuble pour perspective. Il lui faut donc exploiter d’autres choses. Notamment la matière. Rapidement, à son retour, il va se replonger dans la sculpture. Les poissons-volants naissent dans l’inox et le bronze… les écureuils, l’aigle américain et les buildings aussi ! Il se mettra aussi à travailler le carton. Le bois aussi, pour réaliser ce décor fou en pop-up. Et puis, il y a ce taxi, volant lui aussi, tout droit sorti de l’univers Harry Potter, qui nous emmène de New York à Tahiti en un claquement de doigts. Les Touquettois ne pourront s’empêcher d’y voir une part de Tour– Paris-Plage. Cette voiture échouée sur une plage paradisiaque c’est d’ailleurs sa donation au musée !
PAS UN HOMMAGE, UNE REVERENCE !
Oscar Wilde a écrit “La caricature est l’hommage que la médiocrité paie au génie”. Il n’était pas question pour Godon de faire une pâle copie des oeuvres de Matisse pour lui faire un clin d’oeil. Non ! Son clin d’oeil à lui est beaucoup plus subtil. Il se lit entre les lignes. Dans les chasubles des prêtres devant la cathédrale Saint-Patrick…
Mais pour celà, encore faut-il savoir que Matisse est allé jusqu’à réaliser les vêtements des prêtres lorsqu’il a conçu la chapelle du Rosaire à Vence. Dans sa série de huit transats aussi. Matisse en avait dessiné, Godon lui les a fait créer par la Tapisserie Royale d’Aubusson. Toujours en clin d’oeil au travail de tisserrand de Matisse, Godon va peindre sur des carrés de soie… Mais surtout, Godon et Matisse partagent les mêmes terrains de jeux. Matisse est présent dans presque toutes les toiles de Godon. Et s’il n’y est pas, il est suggéré !
Pour parvenir à ce résultat, il aura fallu trois ans de travail à Godon et deux mois d’installation aux équipes du musée. Trois années durant lesquelles l’artiste a oublié tout notion mercantile et a sorti ses tripes. Rassurez-vous, avec lui, l’accessibilité est toujours immédiate. Godon c’est le langage du coeur, celui qui n’a d’autre ambition que d’offrir un peu de bonheur. L’exposition se lit comme une BD… mais certaines petites bulles pétillent plus que d’autres sans qu’on s’en aperçoive.
“Le spectacle de la beauté qui s’incarnedans un être vivant est infiniment plus émouvant que celui de l’oeuvre la plus grandiose” – Michel Henry
C’est le cas lorsqu’il nous emmène à Central Park. Il renoue avec le street-art, ce travail à même le sol et les murs qu’il a opéré, à ses débuts, sur les trottoirs de Paris et de Brighton… La pluie lui aura fait souvent comprendre ce qu’était le côté éphémère d’une oeuvre. Il explique ceci joliment dans “Dreams are prerogativeof the poor”. Il se met en scène devant le Guggenheim, tentant de décrocher quelques pièces en vendant des oeuvres. “Nanou”, son âme soeur, sa compagne, l’encourage alors à vivre ses rêves pour un jour, peut-être, lui aussi faire son entrée dans les grands musées. Aujourd’hui c’est chose faite, une carte blanche au musée Matisse ça ouvre forcément le champ des possibles…
22.000 C’est le nombre d’entrées, pour l’instant, au musée le temps de l’exposition
QUESTIONS A…
ALAIN GODON, ARTISTE – PEINTRE
“J’ai l’impression d’avoir eu mon bac avec mention”
L’exposition touche à sa fin, on va bientôt la décrocher, que va-t-elle advenir ?
Rien ! C’est une exposition que j’ai pensée sur mesure pour le musée Matisse parce qu’elle est en lien avec les lieux. C’est le côté éphémère de l’art… Ce que je peux dire en revanche c’est que j’ai adoré travailler à nouveau avec Patrice Deparpe, il a vraiment été à l’écoute, il a su aussi me recadrer, on est vraiment sur la même longueur d’ondes.
Il y a eu énormément de monde, tous sont dithyrambiques, les plus grands critiques compris, comment vous vivez ça ?
C’est vrai c’est un peu fou. J’ai eu de très beaux papiers, fait de belles rencontres, l’adjoint du musée du Louvre s’est déplacé, j’ai même été applaudi par un groupe de critiques d’art, je n’en revenais pas. Entrer au musée Matisse c’est comme si j’avais eu mon brevet des collèges mais recevoir l’assentiment et les félicitations de la famille
Est-ce que ça change quelque chose dans votre carrière ?
C’est trop tôt pour le diremais ça met forcément mon travail en lumière. Je fais partie de ces peintres qui tirent leur épingle du jeu grâce à internet. Je ne suis pas un peintre à la mode, je suis mon chemin c’est tout ! Je n’ai pas envie de changer en tout cas, je n’ai pas envie que des gens s’interrogent pendant des heures devant une de mes toiles pour trouver un message caché. Moi j’emploie des codes que tout le monde connaît. Je suis un marchand de couleurs, les musées sont comme des magasins de bonbons et j’espère juste continuer à offrir du bonheur aux gens !
D’autres expos sont prévues ?
Oui en avril au Touquet, à la galerie Milani (le vernissage aura lieu le 14 avril) et les 7 et 8 décembre à la galerie Markowicz Fine Art à Miami. Je reviens avec des nouveautés !
Propos recueillis par Kathleen MENEGHINI